D'un côté, j'ai aimé le choix de filmer à la Frédérick Wiseman, sans commentaire ni sous-titre, on suit avec passion le parcours des candidats qui doivent garder leur sang-froid, faire preuve de culture cinématographique et technique, mais aussi de créativité, d'originalité, de "non formatage", on est fasciné par ce qui se passe dans les coulisses de cette impitoyable sélection et on partage les incertitudes des jurys comme l'angoisse ou l'enthousiasme des candidats.
L'épreuve du "grand oral", qui occupe une bonne deuxième moitié du film, est particulièrement violente et cruelle, et pas seulement parce qu'elle écarte définitivement des candidats qui ont déjà franchi deux obstacles extrêmement difficiles, c'est un concours réputé très sélectif, les candidats le savent quand ils s'y présentent.
Ce film, réalisé par une ancienne enseignante de la FEMIS et ancienne membre du jury, donne aussi l'impression qu'au bout du compte, travailler dans l'art cinématographique est une affaire d'héritiers bourdieusiens et il serait intéressant de voir, parmi les 60 candidats retenus, combien sont issus par exemple de ce qu'on nomme pudiquement les "quartiers populaires" ou n'ont pas suivi un parcours universitaire classique. Le concours de la FEMIS se veut un concours à part dans le paysage de l'enseignement supérieur français (archi-élitiste sous son vernis démocratique), on n'en a pas franchement l'impression quand on voit la photo de groupe à la fin du film.
Chaque film (sauf Pretenders) sera précédé d’un court métrage sélectionné par nos amis du festival Courtivore.
Téléchargez ici le programme complet : programme A l’Est du Nouveau 2017.
Quelques moments forts à noter :
Mardi 28 février, rendez vous avant le festival. La Maison de l’Architecture accueille la projection du film documentaire Santier în lucru – Les villes d’après, réalisé par le collectif caennais Urban Balkan Project. Ouverture officielle vendredi 3 mars à 19h30 à l’Omnia République à Rouen, projection film décapant du hongrois Attila Till, Roues Libres.
Nouveau cette année, le Lab’Est vous propose des masterclasses animées par des professionnels du cinéma.
Samedi 4 mars, projection du documentaire de Pierre Filmon consacré au chef opérateur Vilmos Zsigmond. Dimanche 5 mars, Brunch Documentaireà
11h à l’ Omnia, pour échanger sur le film André Villers, une Vie en
Images de Marketa Tomanova. Tout le monde se retrouvera à la Rose de
Vents, rue Saint Nicolas.
Lundi 6 mars, projection à Yvetôt et débat avec Action Citoyenne.
Mardi 7 mars, projection carte blanche au festival Elles font leur cinéma.
Samedi 11 mars, soirée de clôture et la remise du prix du jury aura
lieu samedi 11 mars à 19h30 au Kinepolis, avec la projection du film
tchèque The Teacher.
C’est déjà passé : vendredi 27 janvier, nous avons assuré au CHU de Rouen la projection du film polonais Bogowie.
La présentation du film a été suivie d’un débat passionnant avec des
professionnels de santé. Le public nombreux a échangé à propos des
transplantations cardiaques. En particulier de la façon dont elles ont
été perçues aussi bien Pologne qu’en France dans les années 80. Pour être mieux informé, inscrivez vous ici à la newsletter du festival.
Un regard neuf tourné vers l’Est
Le festival de cinéma A l’Est du Nouveau, créé en 2002, a pour
objectif de faire découvrir le cinéma actuel des pays d’Europe centrale
et orientale. Ainsi nous sommes heureux de faire découvrir des
cinématographies inédites et novatrices, tant par leur forme que par
leur contenu, sur les sociétés dont ils proviennent. A l’Est du Nouveau
présente des œuvres de cinéastes engagés, pour permettre au public de
vivre des expériences cinématographiques originales et intenses.
Des films en provenance de l’Europe centrale et orientale
Le nombre de pays représentés dans le festival n’a cessé d’augmenter
au cours des éditions. A l’origine, en 2002 le festival était centré
autour de la République Tchèque. En effet, David Duponchel, créateur du
festival venait de terminer ses étude à La FAMU, à Prague. Puis le
cercle des pays représentés dans la sélection du festival A l’Est du
Nouveau s’est peu à peu élargi. Ainsi nous avons projeté au fil des
éditions ds films en provenance des pays suivants.
Arménie, Autriche, Bosnie Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Estonie,
Géorgie, Hongrie, Kosovo, Lituanie, Lettonie, Pologne, République
Tchèque, Roumanie, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Ukraine.
Tina, l'héroïne de Der Nachtmahr, est la seule de sa famille à voir et à entendre le petit gnôme qui pille nuitamment le réfrigérateur.
Des jeunes gens victimes de visions ou d'hallucinations ne sont pas rares au cinéma. On pense bien sûr au personnage joué par Catherine Deneuve dans Répulsion de Roman Polanski (aaaaah, les mains qui sortent des murs pour vous tripoter...):
Loin en terme de qualité du chef d'oeuvre précédemment cité mais malgré tout non dénué d'intérêt, Donie Darko de Richard Kelly, grâce à qui vous ne regardez plus tout à fait les lapins de la même façon...
Quelques liens afin de faire plus ample connaissance avec Achim Bornhak, alias Akiz, le réalisateur de Der Nachtmahr.
Tout d'abord, le lien vers son site officiel (Akiz est avant tout plasticien):
http://www.akizikon.com/
Un court-métrage d'Akiz sur une performance plastique à Berlin en 2011 (1mn21) :
Une vidéo où il parle du film, d'accord, c'est en allemand sans sous-titres, mais on peut voir des images de la genèse du petit monstre et des extraits du tournage de Der Nachtmahr (25 mn):
Une autre vidéo, également en allemand, extraite d'un documentaire sur la genèse du personnage du Nachtmahr (9 mn):
Et pour finir, une interview d'Akiz et de sa soeur, l'auteur du documentaire nommé ci-dessus (4mn39):
Le film Der Nachtmahr développe, au delà des oeuvres de Füssli à qui il emprunte son titre, des thèmes et des ambiances issus du romantisme noir et du roman gothique.
Afin de faire résonner les réminiscences dont se nourrit Der Nachtmahr, on peut se référer avec grand profit à l'exposition présentée en 2013 par le Musée d'Orsay: L'ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst:
http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-detaillee/page/0/article/lange-du-bizarre-35087.html?cHash=5054557445
Cette exposition est largement commentée sur le site de France Culture sous le lien suivant:
Dans un registre moins savant, on peut regarder avec bonheur deux films à la limite du nanar (mais il ne faut pas bouder son plaisir) qui reprennent avec enthousiasme et force hémoglobine les thèmes de la schwarze Romantik et du roman noir anglais:
On reproche souvent au cinéma allemand actuel de ne traiter que de sujets historiques en lien avec l'époque nazie ou celle de la RDA.
Certes, force est de constater que les films allemands distribués en France sont
majoritairement des films à sujet historique et pas forcément les
meilleurs tournés outre Rhin, mais là, il s'agit d'un autre débat, celui des choix opérés par les distributeurs sus-nommés qui ne raisonnent pas uniquement d'un point de vue artistique...
Cela dit, cette affirmation n'est selon moi pas correcte, à la fois parce que le cinéma allemand actuel est riche d'oeuvres originales et aussi parce que ces films à thématique historique peuvent être l'occasion d'aborder des thèmes complexes comme celui de la "Vergangenheitsbewältigung", mot à mot, le fait de digérer son passé, en l'occurrence le passé nazi.
Je vous recommande à ce sujet un film certes classique dans la forme mais passionnant sur le fond, Le labyrinthe du silence/Im Labyrinth des Schweigens:
Un autre film, (hélas) également très classique mais non moins intéressant : Der Staat gegen Fritz Bauer/Fritz Bauer, un héros allemand
A l'occasion de sa sortie en DVD, je vous recommande vivement le film de Maren Ade Toni Erdmann :
Un petit article pour accompagner votre visionnage du film:
A l’occasion de la sortie en DVD de Toni Erdmann chez BlaqOut, retour sur le film événement de 2016, oeuvre étrange et virtuose.
Toni Erdmann restera l’un des parangons de l’année filmique passée.
Dans un climat de fatigue sociale, une bête à poils sortie du folklore
bulgare va servir de médiateur à la réalisatrice, Maren Ade, entre une
fille et son père. Ou comment la fiction permet de se reconnecter au
réel. Inès travaille comme consultante pour une boîte – une de ces
entreprises là, qu’importe, celles qui représentent la dérive d’une
société de fantoches. Elle se laisse guider par son travail, son mode de
vie linéairement organisé par les contrats qui se présentent (repos,
sexualité, soirées). Elle ne voit plus son père. Lui, Winfried, décide
d’aller la retrouver à Bucarest, suite à une visite impromptue dans son
Allemagne natale où il l’a trouvée, désenchantée et sans élan profond,
le visage marqué par une moue indifférente, au mieux un sourire de
façade.
Killeuse et dentier Inès s’est créé un personnage qui intervient maladroitement dans son
travail, celui de la femme aux cheveux tirés et tailleur, avenante et
fragilement sûre d’elle. Ce qui lui demande une énergie folle, dans le
cadre d’une supercherie à grande échelle, celle des marchés de
l’économie capitaliste, et contamine sa vie hors cadre professionnel. Le
personnage construit par Winfried, inventé depuis quelques temps
sûrement mais qui est amené à évoluer au contact de sa fille, est lui un
véritable double : Toni Erdmann. Toutes dents dehors, comme le nez du
clown, il vient faire dévier, pesant de tout son poids, la morne ligne
droite sur laquelle s’est engagée Inès. Mais pas de morale, seulement
une façon pour le père d’échanger de nouveau avec sa fille.
La virtuosité de Maren Ade Et c’est là que se trouve la virtuosité de l’œuvre de Maren Ade :
attachés au point de vue d’Inès, les multiples récits, celui du film et
des doubles fictifs des personnages menés par l’improvisation de Toni
Erdmann face aux évènements qui se présentent (un rendez-vous
protocolaire, une visite de chantier), se mêlent et se nourrissent.
Finement, la jeune femme voit sa vision de la société bousculée par cet
étrange personnage, aux manières brusques, faussement brusques. Et cette
confrontation, sans emphase de la mise en scène qu’on pourrait croire
naïve, fait naître des instants d’une rare émotion, qui explose en un
souffle retenu, avec pudeur mais franchise, et sans conviction faite.
Chez Inès, le doute est toujours là, mais sa tête est tournée vers
d’autres voies, encore invisibles. Toni Erdmann vient de sortir en DVD et Blu-ray chez BlaqOut,
accompagné d’une interview de la réalisatrice. Reparti bredouille de
Cannes, il n’en reste pas moins un film qui aura marqué les esprits,
preuve en est les 340 000 spectateurs qui se sont réunis pour le voir en
plein mois d’août, malgré ses 2h42 et l’anonymat relatif de sa
réalisatrice, sa bonne position dans la course aux Oscars et Césars du
meilleur film étranger, ainsi que le remake américain tout juste
annoncé, avec Kristen Wiig et Jack Nicholson dans les rôles principaux..
Quelques films que les terminales (mais pas seulement!) peuvent voir avec grand profit afin de travailler sur la notion "Lieux et formes du pouvoir/Machtorte und Machtformen".
Tout d'abord, un classique: Das Leben der anderen/La vie des autres .L'histoire n'est pas forcément très vraisemblable mais ce n'est au fond pas le plus important, le propos de cette fiction est le portrait d'un homme qui grâce à l'art s'ouvre aux autres et devient un "guter Mensch". Et le film donne par ailleurs une impression assez juste de ce qu'était le pouvoir de la Stasi. L''interprétation d'Ulrich Mühe est magistrale:
Dans un autre registre, Barbara, le magnifique film de Christian Petzold avec Nina Hoss:
Moins connu en France, un film intéressant sur l'arrivée dans le monde "libre" de ceux qui ont fui la RDA: Westen/de l'autre côté du Mur:
Et enfin, un conseil de lecture (se lit vite et avec plaisir):
Histoire d'un Allemand de l'Est (Haltet euer Herz bereit)
Maxim Leo, journaliste berlinois,
avait vingt ans au moment de la chute du Mur. D’une plume alerte et
captivante, il raconte aujourd’hui l’histoire d’une famille peu commune :
la sienne.
Après avoir combattu dans la Résistance française, son grand-père a
contribué à la fondation de la RDA. Sa mère a cru en l’avenir du jeune
Etat communiste, tandis que son père rêvait déjà de le voir disparaître.
La force de ce document exceptionnel réside dans l’intelligence avec
laquelle Maxim Leo organise ce récit qui englobe une soixantaine
d’années. Son talent de narrateur rend ce témoignage et ses
protagonistes inoubliables.Histoire d’un Allemand de l’Est ne permet pas seulement de comprendre vraiment ce que fut la RDA mais éclaire aussi les contradictions de l’Allemagne actuelle.
Attention, un film à ne pas manquer si vous aimez le rock garage qui sent le cambouis et la sueur, le gros son et les excès. Jarmusch se fait documentariste et nous raconte les mythiques Stooges et leur leader charismatique, Iggy Pop. Un régal pour les oreilles et les yeux.
Le film Der Nachtmahr est riche de nombreuses références littéraires et cinématographiques.
On pense naturellement à la nouvelle DerSandmann (L'homme au sable) d'Hoffmann, magistrale ouverture des Nachtstücke (Pièces nocturnes) où l'auteur développe ce que Freud nomme dans son analyse de la nouvelle "das Unheimliche" ou inquiétante étrangeté, cette limite ténue entre réel et irréel où réside le fantastique.
Une autre référence vient immédiatement à l'esprit dès la scène d'ouverture de Der Nachtmahr : celle au film de David Lynch Lost Highway :
On retrouve la route filmée de nuit, un voyage mental dans un univers angoissant peuplé de monstres, une narration en boucle à la façon de La Jetée, à laquelle on ne peut échapper.
L'univers de Lynch étant (selon moi) génial mais pour le moins très particulier, je recommande à ceux qui souhaitent le découvrir cette vidéo:
...et cet article:
Pourquoi 20 ans après, “Lost Highway” reste un film fondamental
Il y a vingt ans, en fevrier 1997, cinq après l’échec
public de “Twin Peaks”, le film, David Lynch effectuait un retour
fracassant avec “Lost Higway”, immersion affolante dans le mental d’un
schizophrène. Le film constitue, en miroir avec son successeur
“Mulholland Drive”, la pierre philosophale du cinéma moderne.
Quand David Lynch signe Lost Highway en 1997, cela fait cinq ans qu’il n’a pas fait de film (Twin Peaks : Fire walks with me, 1992) et sept ans qu’il a connu son dernier vrai succès au cinéma (Sailor & Lula,
1990, palme d’or à Cannes), soit une double éternité à l’aune du temps
accéléré de l’actualité cinéma. Mais dans l’intervalle entre ces deux
derniers films, Lynch a aussi créé Twin Peaks, objet
télévisuel séminal qui a inauguré l’ère sériephile et qui reste près de
quarante ans après sa création (et à quelques mois de son sequel) la
série télé la plus singulière et hors normes de l’histoire. Au moment où
le public va découvrir Lost Highway, Lynch est donc dans une
situation paradoxale, à la fois cinéaste en relative perte de vitesse
qui n’a rien fait de marquant depuis un moment et inventeur culte de la
série télé moderne – de la télé qui ne ressemble pas du tout à de la
télé.
“Je n’ai jamais eu la chance de trouver rapidement des histoires que j’aimais” Mais pourquoi un tel laps de temps entre Twin Peaks : fire walks with me et Lost Highway ?
“J’aimerais tomber amoureux le plus souvent possible de tel ou tel sujet nous expliquait Lynch en janvier 97,
et faire un film par an. Mais je n’ai jamais eu la chance de trouver
rapidement des histoires que j’aimais. C’est aussi simple que ça. Je
passe mon temps à remuer des idées, à creuser des pistes, à faire des
essais, mais ça ne fonctionne pas toujours et quand je ne sens pas
bien un projet, je continue de chercher… Jusqu’à ce que je tombe
amoureux d’un livre, ou d’une de mes idées. Ce processus peut parfois
prendre quatre années”.
Le livre qui a tout déclenché, c’est Sailor et Lula de Barry
Guifford dans lequel Lynch a retenu les mots “lost” et “highway”, qui
accolés ensembles sont aussi le titre d’un classique sublime du chanteur
country Hank Williams. A partir de ces mots starters, l’imaginaire du cinéaste a dérivé pour imaginer l’histoire de Lost Highway,
un film noir étrange où les personnages se dédoublent, où la réalité
semble fonctionner sur plusieurs niveaux, où le temps se tord et se
boucle sur lui-même tel une spirale einsteino-hitchcockienne. Le film
est un tour de force mélangeant imagerie de film noir, figures de freaks
inquiétants et invention narrative quasi-exprimentale. Comme dans tous
les Lynch, la musique est un élément-clé de sa mise en scène. Son
complice habituel, Angelo Badalamenti, a concocté une bo plus
angoissante qu’à son habitude, et son travail est complété par le rock
extrêmement sombre et flippant de Nine Inch Nails et de Ramstein. La
séquence d’ouverture sur une autoroute de nuit (rappelant l’ouverture de
En 4ème vitesse, le chef-d’oeuvre noir de Robert Aldrich) est scandé
par le superbe et torve I’m Deranged de l’archange ambigu David Bowie.
“Un cinéma inédit où le temps et l’espace n’en finissent plus de se trouer et de se dédoubler” Quand les critiques découvrent le film, ils sont à la fois subjugués
et déroutés. L’atmosphère anxiogène, la puissance évocatrice des plans
(redoublée par celle de la musique et du son), la précision des
cadrages, la beauté design des décors, l’intensité de jeu des comédiens
(Bill Pullman, Patricia Arquette, Balthazar Getty, Robert Blake…), tout
cela éblouit et fascine. Mais la conception quantique du temps ou l’idée
de faire jouer un même personnage par deux comédiens aux physiques
différents déstabilisent et ouvrent à toutes les conjectures. Ainsi,
dans Telerama, François Gorin est loin d’adhérer à ce nouveau délire lynchien :
“Là,
on perd pied. On se tâte : essayer d’y voir clair ou se laisser happer
une fois encore par l’ambiance de série B d’horreur intello-perverse… Lost Highway est
(peut-être) l’histoire d’un assassin schizophrène. C’est surtout un
film lui-même schizophrène. Comme si Lynch, lassé de l’effet Twin Peaks,
s’était d’abord raidi dans une pose d’artiste (avec succès, le premier
tiers), avant de repiquer dans sa malle de tics et d’accessoires pour un
faux remake de Sailor et Lula, confus, nocturne et anémié”.
Néanmoins, la puissance du film l’emporte et l’objet est globalement
bien reçu par la critique. Dans nos pages, Frédéric Bonnaud est conquis :
“Si Lynch reprend les figures de ses films ou de quelques
grands classiques et se réapproprie les emblèmes signalétiques de la
culture américaine, c’est pour mieux les embarquer vers les nouveaux
rivages de l’inconscient, vers un cinéma inédit où le temps et l’espace
n’en finissent plus de se trouer et de se dédoubler”.
Dans Le Monde, Jean-François Rauger parle du “meilleur film de Lynch”. Dans Libé, Didier Péron est élogieux. Dans Variety, bible du cinébiz américain, le célèbre critique Todd McCarthy évoque “un exercice ultra-lynchien de mystère et de design noir, un film plien d’audace et de panache stylistique“. Et dans le NY Times, Janet Maslin a vu dans ce film “une
vision angoissante et une atmosphère menaçante. Les deux mots lost et
highway ont apparemment suffi à fournir à David Lynch toute
l’inspiration dont il avait besoin”.
“Je tends vers une certaine abstraction” Le grand public américain ne suit pas : le film totalisera près de 4
millions de dollars de recettes au box-office américain, ce qui en fait
un honnête succès “art-et-essai”, très éloigné cependant du curseur
de 100 millions qui marque le seuil de la catégorie blockbuster. Lost
HIghway était manifestement trop zarbi et transgressif pour le public
des multiplexes. En France en revanche, le film fera près de 400 000
entrées ce qui n’est pas énorme pour un film américain mais considérable
pour un film quasi-expérimental.
Comme beaucoup de films de Lynch, Lost Highway
déclenchera aussi toute une vague de bouillonnements interprétatifs et
d’hypothèses explicatives diverses. On peut comprendre ce besoin de
cartésianisme, ce désir de maîtriser la vision d’un film et ce refus
qu’il vous échappe. Pourtant, tous les tenants de la rationalité à tout
prix oublient que Lynch ne fonctionne jamais selon des critères
réalistes ou véristes mais plutôt selon la logique poétique des rêves.
Il l’expliquait aux Inrocks en 97 :
“Je construis un film comme un morceau de musique, je
tends vers une certaine abstraction. En même temps, je pense qu’une
histoire est un élément important dans un film, que des personnages
auxquels on peut s’identifier sont une loi importante du cinéma… Mais
autour de ces lois de base, l’atmosphère, la tonalité, le rêve, le monde
que l’on arrive à créer sont les notions les plus importantes pour
moi”.
Chef-d’oeuvre de Lynch, reconfiguration du film noir, Lost Highway amenait à un certain degré de perfection les inventions hallucinées de Blue Velvet ou de Sailor et Lula. Et faisant mentir son titre (l’autoroute de nulle part), il annonçait un autre chef-d’oeuvre : quatre ans plus tard, Mulholland drive enfoncera le clou noir, rêveur, cauchemardesque et poétique planté par Lost Highway.
Un film formidable de l'incomparable Billy Wilder, avec une Marlene Dietrich en grande forme dans le Berlin d'après-guerre. A voir absolument en ces jours d'ouverture de la 67e Berlinale!
Berlin accueille pour
la 67e année consécutive le Festival International du Film de Berlin.
Souvent considérée comme moins populaire que ses concurrents cannois et
vénitien, la Berlinale fascine par son histoire.
Aujourd’hui s’ouvre la 67e édition du
Festival International du Film de Berlin au Theater am Potsdamer Platz.
Premier grand festival de cinéma à voir le jour chaque année – avant
ses deux concurrents, Cannes en mai et Venise en septembre – la
Berlinale a toujours été en prise avec l’actualité. Jusqu’en 1978, le
festival avait lieu en été, puis, dans une volonté de concordance du
calendrier des festivals, s’est vu déplacé en février. Inchangée depuis
la première édition, la récompense suprême prend la forme de l'Ours
d'or. Tour d'horizon historique d'un festival de cinéma bien singulier et éminemment engagé.
La Berlinale, « vitrine du monde libre »
Nous devons la naissance du festival berlinois aux Alliés
occidentaux, et plus précisément, à l'initiative d’Oscar Martay, un
officier américain affilié au gouvernement du secteur américain à
Berlin, à qui il incombait de relancer l'industrie du cinéma berlinois.
En 1951, la ville de Berlin, tout comme l’Allemagne, était divisée en
quatre secteurs. Ces derniers ont été répartis au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale entre les quatre grands vainqueurs : les
Soviétiques, les Américains, les Français et les Britanniques. Lors de la première édition le 6 juin 1951 à Berlin-Ouest, le message
est clair : pour les Américains, la Berlinale se doit d'être « une
vitrine du monde libre » et apporter une « touche de glamour » dans un
Berlin-Ouest gris mais enfin délivré de l'influence soviétique. Un début
paradoxal lorsqu'on le compare à l’image actuelle du festival, qui se
veut loin des paillettes. En 1951, le choix du film d’ouverture Rebecca
d’Alfred Hitchcock est symbolique puisque lors de sa sortie en salles
aux Etats-Unis en 1940, les Nazis avaient interdit sa diffusion en
Allemagne. Cette sélection s’inscrit aussi dans la volonté affichée de
promouvoir avant tout des films de l’Ouest dans une ville profondément
divisée.
"Lors de sa première édition, l'Allemagne de l'Ouest comptait quelque
deux millions de chômeurs, et des milliers de Berlinois vivaient encore
dans des abris de fortune." Peter Cowie auteur de The Berlinale - The Festival.
En 1954, le festival commence timidement à se doter d'une dimension
internationale. Les premières grandes personnalités du monde de la
culture répondent à l'invitation : Sophia Loren, Yvonne de Carlo, Jean
Marais ou encore Vittorio de Sica. Cette édition contraste nettement
avec la précédente de 1953, qui s'était retrouvée paralysée par
l'insurrection ouvrière à Berlin-Est et qui n'avait donc eu qu'un faible
retentissement dans le monde. Il faudra attendre 1956 pour que le
festival se dote d’un jury international et 1958 pour qu’il obtienne le
statut « A », qui le fait accéder à une reconnaissance internationale
dans le monde cinématographique.
1962-1988 : une ouverture progressive vers l'Est
La construction du Mur de Berlin le 13 août 1961 bouleverse
l’équilibre qu’avait trouvé la Berlinale. Avant le Mur, les Berlinois de
l’Est pouvaient visionner les films en compétition lors de projections
spéciales et bénéficiaient d’un tarif réduit. Un an plus tard, lors de
l’édition de 1962, aucun film de l’Est n’est à l’affiche. Il faudra
attendre douze ans pour que le festival s’ouvre à tous : en 1974 est
projeté le premier film soviétique de l’histoire du festival. Un an plus
tard, le cinéaste est-allemand Frank Beyer participe à la compétition
et un membre soviétique rejoint le jury. En 1985, pour la première fois,
un film est-allemand Die Frau und die Fremde remporte l’Ours d’or. Enfin, en 1988, le festival célèbre un film de Chine Populaire signé Zhang Yimou. Mais dans les années 70, l’emprise américaine sur la sélection de
films reste forte comme le montrent les principaux scandales qui prirent
place à Berlin. Si le Festival de Cannes s’interrompt en 1968 pour
cause d’émeutes, c’est deux ans plus tard que la Berlinale connaîtra son
plus grand scandale. Le film O.K de l’Allemand Michael
Verhoeven qui montre le viol et le meurtre d’une Vietnamienne par des
soldats américains provoque un tollé dans le public et chez certains
membres du jury. Ce dernier décide de le retirer de la compétition, ce
qui scandalise de nombreux réalisateurs et journalistes. Le jury
démissionne et le festival se voit annulé deux jours avant la remise des
prix. Plus tard, en 1979, c'est Voyage au bout de l’Enfer de
Michael Cimino sur la guerre du Vietnam qui provoque un scandale et
plusieurs pays socialistes décident de se retirer du festival. Il aura
fallu de nombreuses années et la chute du Mur de Berlin pour que le
festival se forge une identité apaisée.
Un festival engagé en prise avec l'actualité
Nul doute, la Berlinale est devenue le lieu de fortes revendications
politiques et sociales. L’édition 2016 s’était engagée à dénoncer la
gestion de la crise des réfugiés. Cette année, à travers la
programmation, le président du festival Dieter Kosslick veut placer
l’événement sous le signe « du courage et de la confiance ». «Un
fantôme plane, pas seulement en Europe : le désarroi face à l'échec
patent des grandes utopies et au désenchantement du monde. Ni le
capitalisme ni le communisme n'ont tenu leurs promesses de rendre le
monde plus juste. Rarement le programme de la Berlinale n'aura autant
résumé en image la situation politique actuelle » résume-t-il. Farah Keram